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Posts de la catégorie "Ma vie d'infirmière"

Ma vie d'infirmière

 

 Ma vie d’infirmière

 Malgré l’amour de mon métier, la retraite a été pour   moi  une libération, deux  ans après, je rêvais encore que j’étais au travail dans une situation stressante.  Peu à peu, j’ai eu l’habitude  de prendre des rendez  vous de pouvoir m’y rendre…

Une journée à l’hôpital,  les dernières années je travaillais   en  consultations centrales de chirurgie.  Non nous n’étions pas des planquées,  il fallait avoir une bonne santé morale et physique.   Nous devions arriver à huit heures, moi j’étais toujours en avance et je me prenais de plein fouet tous les ennuis.  Cela ne m’empêchait pas d’arriver en avance, on ne se refait pas ! 

Il y avait les chirurgiens pressés  d’opérer. « La passion »,  ils vous fauchaient le stylo que vous teniez dans les   mains tout en répondant au téléphone.  Et ils partaient en courant, un chirurgien se  reconnaît a quelqu’un qui court,   en fait vous voyiez une blouse blanche passer à toute vitesse, et vous saviez que c’était un chirurgien.

Le stress était énorme, je vais vous décrire la journée en consultation d’orthopédie, 140 patients, je comprends qu’ils se nomment les patients !  Plus les accompagnants, les soignants, les médecins étrangers accompagnant le patron, que  vous n’aviez pas intérêt à contredire.  Il a raison même s’il a  tort, il a raison, parce qu’il  est le chef ! Le professeur avait voulu  enlever un clou à un patient, fils d’une de ses amies, il n’y est pas arrivé et qui s’est fait molester, devinez ? L’infirmière !   Il osait un peu moins avec leur secrétaire car après il la supportait davantage !  Bien fait !

Plusieurs ambulanciers et patients attendaient pour se faire inscrire et pour prévoir radios, vertébrothérapeutes, plâtres à enlever, prises de sang,   pansements…

Nous courrions après le temps,  les malades, les chirurgiens, les secrétaires,   à   midi déjà exsangues,   le travail de l’après midi  restait.    Nous   rêvions d’un bon  réconfortant comme une bonne salade, avec pleins de bonnes choses revigorantes, un bon café,  mais pas question !   L’heure n’est pas au repos mais encore aux soins, courir,  «  oui Monsieur, tout de suite !  »  Pas la peine de contredire,  pas  le temps , il y a trop de monde de partout.  « Où elle  est l’infirmière ? Elle n’est jamais là où il faut ! »  « Oui,  mais elle ne peut être à plusieurs endroit en même temps ! » «  Ah bon ? »  14h  beaucoup de patients encore qui voudraient rentrer chez   eux !  Nous aussi, comme c’est bizarre !  La fatigue se fait sentir, encore des patients  à inscrire et  à diriger vers leurs soins.

Vite, vite un malade s’évanoui  au bureau des entrées, drôle d’idée !  Je saisis un appareil à tension et cours vers le bureau des entrées,  je le place, tension basse, ce patient est sujet  aux malaises vagaux. Il reprend ses esprits,  je cours l’inscrire, j’entends des gens râler, cette journée ne finira donc jamais…

Un ambulancier tape  avec son crayon  sur le bureau,  des fois que cela me ferait avancer plus vite, il me vient des idées de meurtre.

Ma collègue, Danielle, est toujours côté chirurgie digestive et fait de gros  pansements  qu’elle montre aux chirurgiens.  La semaine prochaine nous inter changeront, Danielle sera à l’accueil et moi aux pansements.  Et là j’apprendrais que la personne ayant  pris un malaise vagal au bureau des entrées, c’est un de nos anciens copains d’enfance.  Il m’a  dit « Tu ne m’as même pas regardé,  ni même reconnu », et là je me suis senti minable,  ce n’est pas comme cela que je pensais exercer mon métier d’infirmière.  L’écoute, l’attention,  la compassion, j’avais oublié l’essentiel à force de courir.   Mal dans ma peau, je finis cette journée, où lorsque l’on sort on ne sait plus où on a garé sa voiture. Certains proches nous disent « à quelle heure tu sors ? »  « Quand nos malades sont soignés, angoissés,  envolés ou presque, nos chirurgiens partis,   blouses blanches flottant au vent,   nos anesthésistes servis,  nos examens portés au laboratoire, nos transmissions rédigées, nos stagiaires guidées, surveillées, nos locaux nettoyés, nos stérilisation emmenées pour avoir toutes,  les bons instruments le lendemain   nettoyés  et  stériles ! » 

N’oubliez pas de refaire votre réserve de médicaments, produits pour gros pansements et  surtout soyez souriantes, efficaces,   douces.   Ne me parlez pas de vocation, non évitez…  Je pourrais mal le prendre !

Vous sortez  fatiguées,  mais attention,  les courses, la famille vous réclament.  Heureusement que vous aimez votre  métier,  vous l’avez choisi !   Non ?  La souffrance des patients à prendre en charge  nous use surtout passé la cinquantaine, j’ai souvent espéré avoir une aide psychologique, en cas d’alerte à  la bombe  en 1994, six mois après le décès de maman,  d’agressions, de fatigue après   cinquante ans !

Comment serons nous soignés si on enlève des soignants, des fonctionnaires ?  Nous avons plusieurs raisons de nous inquiéter ! 

Nous essayons de transmettre aux stagiaires notre savoir, mais il est de plus en plus difficile d’être optimiste.

Le métier d’infirmière est un merveilleux métier, mais il faudrait que les politiques nous aident,  nous tombons malades, les vertèbres, le dos, les épaules, cela sert à quoi de nous malmener, de nous contrer, nos surveillantes chef qui ne savent plus travailler, il faut qu’elles  écoutent un peu plus les infirmières sortant des écoles, sinon qui nous soignera ? 

Dans les années soixante dix, Madame Simone Veil était ministre de la santé, là, on a cru à une avancée, mais depuis malgré les défilés, les contestations dans la rue, les choses vont de mal en pis !  Triste période, que faire, les impôts de plus en plus  lourds n’améliorent en rien notre   pouvoir d’achat et alors la crise s’aggrave !   Qui nous écoute ?

Les frais bancaires augmentent  de  13% mais nos pensions restent stables.

Une journée à l’hôpital, c’est tout cela, tous les ennuis que nous traînons avec nous…  On ne devrait pas mais c’est tellement angoissant !

Même à la retraite nous sommes encore concernés, comment serons nous soignés ?   J’entends des réflexions qui me font dresser les cheveux sur la  tête. 

En France nous avions la meilleure médecine il y a dix  quinze ans, les  personnes  étrangères,  pouvant  se le permettre venait se faire soigner en France. Tenons bon,  soyons vigilants. 

Mireille  Lubac

Infirmière  quarante  ans  dans les HCL,   à la retraite depuis  quatorze ans.

A publié plusieurs ouvrages, notamment aux éditions Baudelaire.

http://www.leseditionsdunet.com/4039-ce-jour-la-mireille-lubac-9782312041773.html